"Cours camarade!", un roman de Serge Lesbre
(édition La Galipote, 2004)
Ex-soixante-huitard idéaliste, Antoine Haissel est le héros désenchanté de « Cours camarade ! », un roman à clés et à serrures multiples dont l’histoire se déroule au sein d’un microcosme politico-culturel vraiment pas banal.
Curieuse fiction que celle-ci, pleine de suspense et parsemée de digressions caustiques où alternent constamment humour décapant, érotisme torride, moments d’intense émotion et rafraîchissants délires poétiques.
En effet, n’est- elle pas située à Clermont-Ferrand, un ville qui n’existe pas ! Qu’on en juge : en direct à la télévision un psychiatre l’a confondue avec Bordeaux, Daniel Bilalian avec Grenoble, Louis Carzou l’a située à Montpellier et Richard Borhinger à Saint-Etienne !...
C’est pourquoi, finalement, à travers la chronique édifiante qui constitue la trame du récit, rien n’interdit de voir une bien réjouissante mystification. Avec, naturellement tous les risques de fortes turbulences qu’une pareille découverte implique…
Alors, se pose la question : ce roman en est-il vraiment un ?…
Raison de plus pour le déguster sans modération…
Quelques extraits du chapitre 1:
"Où l'on fait connaissance avec le principal témoin de ce curieux récit et où l'on entrevoit le décor dans lequel s'inscrivent les événements qui vont suivre ..."
Part one.
"(...) Au début des années quatre-vingts, les matins radieux tardaient à venir, aussi Antoine se décida-t-il à terminer sa licence d'histoire et il n'enseigna plus que cette discipline au collège. (...)
A défaut des grands bouleversements attendus, il estima que c'était plus réaliste d'espérer agir ainsi sur le réel, le concret et le quotidien. Au risque de s'y engluer.
Malgré la crainte d'y perdre son âme et d'être contraint d'utiliser la langue de bois, il accepta ensuite de postuler à un mandat électif. C'est ainsi qu'il dévint à la fois membre du Bureau Fédéral du Parti Socialiste et, passant d'une scène de théâtre à une autre, Conseiller municipal de Clermont-Ferrand. Ici et là, trop "gauchiste" pour les anciens membres de la SFIO, trop réformiste pour l'aile "révolutionnaire" du CERES, il dérangeait. Dans tous tous les cas, il laissait rarement indifférent. (...)
Si la place qu'il occupait dans l'establishement local n'était sans doute pas excessivement remarquable (quoiqu'elle le satisfît tout à fait), il s'enorgueillissait de l'avoir conquise seul, en dehors de tout réseau, de toute démarche courtisane. Mises à part certaines couleuvres qu'il avait dû avaler parfois, cette ligne de conduite lui avait permis de préserver jalousement sa liberté de ton et de garder intact l'essentiel de ses convictions afin de les tenir prêtes à resurgir du grenier de sa mémoire, autant que de besoin.
Aussi, les jugements variés qu'il inspirait ne l'affectaient-ils guère. En apparence du moins. Ses rêves d'enfant, pour l'essentiel réalisés (même s'ils l'avaient été constamment en retard sur sa vie), et le sentiment d'avoir toujours vécu intensément comme il l'avait souhaité, le rendaient, croyait-il, intouchable. Sauf dans les moments de grande turbulence...
Il était une fois, Antoine, un autodidacte à l'ancienne. Il était une fois Antoine Haissel, un électron libre...(...)
Part two.
"Pourquoi d'ailleurs, s'interrogeait-il parfois, les hommes politiques se plaignaient sans arrêt d'être absorbés par de multiples tâches liées à l'exercice de leurs mandats ? Pourquoi s'attachaient-ils alors à cumuler ceux-ci ? L'argent ? Sans doute, mais moins qu'on ne le croyait généralement : car encore fallait-il avoir le temps d'en profiter. Le pouvoir sur les hommes et les choses ? Evidemment et surtout ,mais était-ce suffisant ?
En fait Antoine se demandait si cette immersion dans la suractivité n'était pas pour chaque élu le meilleur moyen d'échapper au quotidien et au trivial : courses dans les supermarchés, bronchites des enfants, ampoules électriques qui claquent, poubelles à vider. Le tout, sans aucune mauvaise conscience . Et avec en prime la bénédiction de la famille, des amis, des voisins et de la République.
N'était-ce pas là également l'assurance d'être plaint ou confortablement materné par son épouse, sa maîtresse, sa secrétaire, son attachée parlementaire ou sa chargée de mission; voire par la postière ou la serveuse du café du coin ?
Tout bien pesé, ne fallait-il pas y voir l' une des principales raisons de l'immense réticence des hommes à laisser les femmes envahir progressivement un territoire politique finalement assez confortable pour eux ?..."
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